Le texte Clara 69 est extrait du livre Le Triomphe de l'échec publié aux éditions Actes Sud. Clara est incarcérée à la prison de Fleury-Mérogis. Seule dans sa cellule, elle laisse vagabonder son esprit. Elle parle d’elle, elle fantasme, elle dit le vrai et invente le rêvé. Elle est une solitude nourrie d’elle-même. Le parti pris de l’interprète (qui est aussi sa propre metteuse en scène) est de jouer sur la neutralité. Le ton de la voix et son débit restent constants, presque monocordes parfois. Comme un constat clinique. Le parti pris de l’auteur est de rester littéraire. Il ne cherche pas à faire populaire. Il s’engage dans le poétique, l’élaboré. Il invente un personnage destiné au théâtre. Il ne se préoccupe pas de témoignage réaliste sur les conditions carcérales. Du coup Clara montre davantage des cheminements mentaux qu’un cas social, qu’un problème sociétal, qu’une personne à écraser de culpabilité ou à qui accorder pitié. Le spectateur assiste donc à un monologue incarné dans un espace immaculé, vierge, si ce n’est la présence fantasmatique d’un grand daim naturalisé. Il ne s’agit donc pas nécessairement de geôle. Cela peut être n’importe où, y compris dans la pensée de la locutrice. L’espace est clos, même fictivement du côté de la salle. La détenue est bien seule à tourner en rond dans l’espace et dans sa tête.Des bribes de réel, comme un braquage, se mêlent à des élucubrations personnelles qui sont liées à des besoins de liberté, d’horizon, de reconnaissance de personnalité, de revanches à prendre. Alors le lieu change sa couleur. L’éclairage le rend vert, rose, ou bleuté. Il se laisse encercler à certains moments par des bruits extérieurs de couloirs ou de portes ou de voix sans abdiquer son intemporalité ni sa neutralité. C’est un bel exercice. Il dégage peu d’émotion. Il conserve un aspect clinique qu’on observe sans y prendre vraiment part et dont on se demande après coup ce que cela a bien pu apporter à la sensibilité des spectateurs, à leur compréhension du monde, à la connaissance de leurs semblables.Il y a une chose qui est sacrée, le temps, pas l'espace. Un espace peut se réduire ou s'augmenter. J'ai eu l'impression qu'un certain temps de vie m'était donné. Par qui ? Je ne sais pas. (...) Je ne dois non seulement pas y toucher (d'autres peuvent y toucher, me supprimer ou me tuer), mais pas moi. Et pendant ce temps il a fallu que je travaille ce temps. Il ne fallait pas que je le laisse en jachère. Il fallait presque le travailler au feu et presque nuit et jour. On peut dire dans mon cas que j'ai eu comme préoccupation de transformer ce temps en volume, en plusieurs volumes. N'en restera rien le jour où je mourrai, où je serai volatilisé puisque je ne serai plus là. Jean Genet, Extrait d'entretien filmé, septembre 1982.
jeudi 20 décembre 2007
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